LA COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLE ORDINAIRE ET LA POSITION DE L’ANALYSTE

COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLE
POSITION DE L’ANALYSTE

 

La compétence émotionnelle ordinaire

La compétence émotionnelle ordinaire omme compétence de gestion des stéréotypes.

A l’exception des alexythymiques, dont la compétence d’expression émotionnelle semble avoir disparu, tout le monde sait ce que sont les émotions pour les avoir éprouvées, tout le monde subit ou gère de façon plus ou moins hygiénique ses accès émotionnels, ses humeurs, organise ses passions et les expose en fonction de sa ou de ses cultures et des situations d’interlocution auxquelles il participe.  = empathie

Ces savoirs communs, partiellement de l’ordre du “savoir vivre” interactionnel, façonnés par l’histoire, sont exposés, travaillés, théorisés, dans des discours adressés ou intérieurs. Ils relèvent de la compétence émotionnelle du sujet interagissant, qui, dans la mesure où il est capable aussi bien de se mettre en scène que de capter, de lire et de (s’auto-) décrire des émotions, connaît et peut dire quelque chose des transformations des voix, des faces, des processus internes (j’en suis tout retourné, je suis allé trois fois aux toilettes) et des transformations des actions (de rage, il a mordu la clé), pour en induire des éprouvés plausibles.

La lecture de ces signes peut devenir une compétence professionnelle, mais tout un chacun est sémiologue, c’est-à-dire capable de capter et de dire quelque chose d’un ensemble de signes pluricanaux rapportés à une même source organisatrice pour en tirer des inférences sur cette source. La recherche sur les stéréotypes sémiologiques exprimés sous forme de locutions vise à formaliser ces savoirs et les savoirs faire où il émerge (voir infra).

 

Position de l’analyste

La question de la position de l’analyste ne peut être éludée, particulièrement par le linguiste dont ni l’œil ni l’oreille ne sont professionnellement préparés à l’observation de situations d’émotions fortes, et les situations d’émotion faibles sont peut-être encore plus délicates à appréhender (Kleinman & Copp 1993).

La position alexithymique, ou la réification des émotions.

Il peut tenter de se situer en externalité pour observer des interactants émus, ainsi qu’une portion plus ou moins vaste du contexte originaire et de l’histoire de l’émotion qui les affecte, ou qu’ils affectent. Il pose alors l’émotion comme une chose, se manifestant dans un monde séparé.

Un psychanalyste dirait que l’on ne se libère pas par décret des liens du transfert et du contre-transfert. L’externalité ne s’obtenient pas par décret. L’émotion déborde du corpus (Auchlin 2000), il faut tenir compte de sa transmission inconsciente, corporelle, de l’émotion, des phénomènes d’empathie et “d’an-empathie” (Cosnier 1994, 2000, et ce volume). Autrement dit, il y a de la captation émotionnelle, l’analyste participe à l’émotion qu’il entend analyser. Dans ces conditions, comment peut se réaliser la coupure d’avec l’objet qui est la garantie de l’objectivité de l’étude ?

La position empathique, ou la glue participationnelle

Une autre option consisterait à opter pour une position “compréhensive”, participante, le risque étant alors de se réclamer des certitudes d’un sujet bien placé pour savoir, ce qui revient à pratiquer une forme d’introspection de groupe, en tout point analogue à l’introspection individuelle. L’empathie fournit une entrée aussi commode que problématique dans une atmosphère émotionnelle, elle confère au linguiste toutes les certitudes piégées de compréhension du participant, et l’expérience montre que cette captation émotionnelle s’étend facilement à son auditoire professionnel. Le corpus n’est alors qu’un sorte de tache de Rorshach, et l’analyse une élaboration sur cette tache.

Il ne suffit pas d’aller loin dans l’analyse, encore faut-il en revenir.

 

Une cure interculturelle ?

« Un camelot algérien marchande en français avec une cliente française d’une part, avec un client algérien d’autre part, en français et en arabe ; les deux étudiants qui analysent le corpus vidéo sont respectivement française et algérien. Dans l’interaction marchande avec la Française, il y a désaccord sur le prix et l’on note l’absence de complétude interactionnelle : le marchand change brusquement d’interlocuteur, la séquence de marchandage se trouvant interrompue. Pour l’étudiante française qui interprète le corpus, ce changement d’interlocuteur chez le marchand algérien a pour fonction de préserver la face de la cliente française, alors que pour l’étudiant algérien, ce comportement dans l’interaction est interprété comme signe évident de mépris, donc d’offense caractérisée. »

De Nuchèze, 1995, “La communication en contextes pluriculturels : interrogations méthodologiques”. Cahiers de Praxématique 25, 14-29 (p. 18).
Cité par V. Traverso, 2003, Aspects de l’interaction en arabe (dialecte syrien). Document pour l’Habilitation à diriger des recherches. (315 p), p 14.