Mondada, L., 1994, Verbalisation de l'espace et fabrication du savoir: Approche linguistique de la construction des objets de discours, Lausanne: Université de Lausanne, 670p.

Résumé

Ce travail vise à décrire les dynamiques discursives d'une façon qui reformule un certain nombre de problèmes en linguistique et qui converge avec des questionnements issus d'autres disciplines en sciences humaines. Cette visée est menée à travers le développement de la notion d'objet de discours et sur un corpus exerçant un effet de loupe sur elle.

La notion d'objet de discours renvoie à ce à propos de quoi s'organise l'activité énonciative dans les pratiques d'appréhension, de formulation et de description du monde de la part des locuteurs. Ce faisant, elle permet d'interroger des problèmes linguistiques concernant la gestion du topic, la structuration et la planification discursive, les processus énonciatifs, leurs marquages métadiscursifs. Ces dimensions convergent vers un problème central, celui de la référenciation, terme privilégié par rapport à celui de référence, orienté moins vers la relation entre les mots et les choses que vers les activités énonciatives du locuteur par lesquelles il construit intersubjectivement, au cours de négociations, de modifications, de ratifications, un modèle public du monde.

Ces questionnements sont menés à partir d'un corpus de relations de voyages en Italie rédigées entre 1750 et 1850. Ce corpus permet de spécifier doublement les objets de discours traités. D'une part, ils portent sur l'espace, qui a la propriété de ne pas être un objet de discours quelconque mais d'intervenir, en la contraignant, dans l'organisation du discours qui le dit. La relation de voyage, produisant des descriptions d'espaces parcourus, permet d'étudier la latitude des potentialités et des effets des verbalisations spatiales, dans des discours qui ne se limitent pas à être des représentations de l'espace mais qui les exploitent pour construire des espaces de représentation. D'autre part, la relation de voyage déploie des objets de discours qui sont des objets de savoir: elle peut être lue comme un texte rapportant un savoir empirique pourtant sur les lieux parcourus. Elle a effectivement joué ce rôle en fournissant jusqu'au XIXe siècle les données empiriques sur lesquelles travaillaient les savants de cabinet en anthropologie et en géographie. Elle peut donc être conçue comme un ancêtre du discours en sciences humaines, étant ainsi un terrain où interroger le rôle constitutif des constructions discursives dans l'élaboration du savoir.

Ceci a amené à formuler des questions qui, outre à interroger des problématiques linguistiques, sont utiles pour approcher des questions surgies dans des discplines voisines. En premier lieu, est analysée la façon dont le texte construit un réseau de repères énonciatifs qui permettent d'ancrer les objets de discours, en justifier l'introduction et le développement, fonder leur véracité et facticité, construire l'autorité du locuteur en tant que témoin ou expert. En deuxième lieu, est décrite la façon dont les modes de formulation et de dénomination des objets de discours fonctionnent ou ne fonctionnent pas comme des catégorisations adéquates des objets à nommer - et conduisent les locuteurs à interroger l'opacité et l'altérité de la langue, ainsi que l'instabilité contextuelle des catégories, variant selon les activités et les énonciateurs. En dernier lieu, est traitée la façon dont les objets de discours ainsi repérés et nommés sont organisés en des configurations ordonnées, posant des problèmes de structuration du discours qui sont résolus par différentes techniques exploitant les figures du parcours (qui est un principe de linéarisation des descriptions spatiales) ou de la carte (qui est un principe de totalisation).

Disciplines concernées: linguistique, anthropologie, géographie, ethnographie et sociologie des sciences, psychologie cognitive.

Mots clefs: discours, énonciation, objet de discours, topic, catégorisation, référenciation, dénomination, spatialité, textes scientifiques, opacité de la langue, organisation textuelle, métadiscursivité.